Notre prix Eugène Dabit du roman populiste est triste, endeuillé, anéanti. Il est meurtri dans sa chair et dans son esprit. Après Cavanna en janvier 2014, voilà que c’est au tour de Wolinski de nous faire faux bond… Pas drôle l’anniversaire. D’autant plus qu’on ne peut pas dire qu’il ait soigné la forme, pour une fois.
Georges n’a pas choisi la petite porte pour s’absenter, ce triste 7 janvier 2015. Il ne nous a pas quittés sur la pointe des pieds mais sauvagement assassiné avec quelques autres camarades, ceux-là même qui avaient fait de Charlie Hebdo ce qu’il était : Cabu, Tignous, Charb, Honoré, Maries…
Un départ fulgurant qui, bien au-delà de notre Prix, a sidéré la France entière et stupéfié le monde.
Leur crime ? La liberté, celle d’écrire, de penser, de dessiner leur temps et de dénoncer ses travers, ses excès, sa connerie, même quand elle se laissait pousser la barbe. Cette liberté si chère qu’elle peut coûter la vie de ceux qui ont décidé de la défendre à tout prix, d’être là, debout, d’ignorer la terreur.
Georges nous l’avait dit. Il savait qu’en allant chaque semaine à Charlie Hebdo, il exposait sa vie. Il évoquait régulièrement le drôle de climat qui régnait dans la rédaction de l’hebdomadaire satirique depuis que tous travaillaient sous la menace permanente de voyous déguisés en croyants. Une rédaction qui ne pouvait plus produire, un comble pour Charlie, que sous protection policière. Bien sûr, Georges avait peur, mais il s’y rendait quand même. C’était la vie. C’était sa vie.
Au moins Georges le chroniqueur, le moraliste, l’admirateur de Victor Hugo et de Dubout n’est-il pas mort idiot, comme le redoutait le titre de l’un de ses premiers albums, en 1968. Ni idiot ni pauvre d’ailleurs, car Georges était riche de son talent, de son regard, de son humour, de son trait acéré et de sa grande lucidité, non seulement sur les autres mais aussi sur lui-même, ce qui est la première et dernière condition de l’intelligence et de l’humour.
Georges avait rejoint le jury de notre Prix il y a 17 ans, en 1998, en même temps que Patrick Rambaud qui venait de recevoir le Prix Goncourt, dans la foulée de son ami François Cavanna.
Ce compagnon de plume, attentif, fidèle, rigoureux, exigeant et si profondément amical et humain a énormément apporté à notre prix littéraire. Il laisse un vide immense et va cruellement nous manquer.
Aujourd’hui, notre tristesse est immense. De même que notre colère, notre sentiment d’impuissance et la révolte qu’inspire un crime odieux dont Georges a été, avec quelques autres talentueux camarades, la victime imbécile, courageuse et tragique.
« La barbarie sait bien où trouver ses ennemis, là où on crie la vérité, là où on défend la liberté d’expression, de culte et de pensée, et la démocratie, la vraie pas ses parodies, mais elle ignore qu’en criblant de balles ses ennemis elle ne fait que les rendre plus vivants », écrivait Michel Quint sur Facebook au lendemain du meurtre.
Comme sa fille Elsa qui évoquait sur Europe 1 « la mort de son papa », nous pouvons dire avec elle que « Wolinski n’est pas mort ». Car dans nos cœurs, il bande encore. Le bougre, le frère, le camarade est bien vivant et le restera longtemps.
Philippe Haumont
Le dessin ci-dessus a été réalisé par Wolinski pour le 7e festival du livre de Belfort, en 2000, un événement organisé conjointement avec notre association.
Ci-dessous, en 2007 à L’Île-Saint-Denis, lors de la remise du Prix du roman populiste à Olivier Adam pour son livre A L’Abri de rien. De gauche à droite : Joseph Da Costa, Nicky Fasquelle, François Cavanna, Olivier Adam, Akli Tadjer et Georges Wolinski.